GREVE DU 3 FEVRIER 2015 : PAS AVEC L'UNSA !
Publié le 1 Février 2015
Grève FSU 3 février 2015 : Perdre de l’argent pour rien ? Pas avec l’UNSA !
Grève le 3 février, dans le paysage. Une grève dont l’UNSA ne sera pas. Non pas que la situation soit idyllique avec un présent radieux et un avenir rieur, tant s’en faut. Dans cette période, des actions locales sur des objectifs précis ont pu ou pourraient s'avérer nécessaires, dans un cadre intersyndical ou sur l'initiative des syndicats et sections UNSA Éducation. Mais il n’y a aucune raison de faire baisser son pouvoir d’achat plus vite que prévu en faisant une grève nationale inutile le 3 février prochain. Explications...
La première explication vient sans doute du respect de quelques principes. La grève a été lancée par la seule FSU, sur des mots d’ordre de la FSU, sans que la date, les modalités ni la plateforme puissent être discutées par qui que ce soit puisque la FSU a déjà tout prévu.
Une explication, mais pas la seule. Derrière la méthode de la FSU, détestable sur la forme (Je suis tellement unitaire que je décide unitairement de tout, toute seule), cet appel à la grève illustre une différence de conception fondamentale qui rejoint la différence de conception sur ce qu’est le syndicalisme... et la grève utile.
Une grève : mais pourquoi… et pour quoi ?
La FSU a annoncé la grève le 6 janvier et publié parallèlement une (longue) lettre de sa secrétaire générale à la ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem. Ce courrier annonce tout d’abord la grève et en détaille les raisons (détailler est le mot qui convient) sous un chapeau très général «conditions de travail, emplois, salaires et formation».
On relèvera d’abord cette formulation qui-nous-interpelle-quelque-part-au-niveau-du-vécu : «La politique éducative du gouvernement, qui reste affichée comme une priorité doit répondre aux besoins et attentes des personnels.»
S’il est logique qu’une organisation syndicale quelle qu’elle soit (nous ne faisons pas exception) se préoccupe effectivement des «besoins et attentes des personnels», on peut tout de même considérer que la politique éducative devrait d’abord viser à une meilleure réussite et une meilleure insertion des élèves et des étudiants. Cela a, certes, des incidences en termes de conditions de travail ou même d’attractivité du métier, mais ces conditions et cette attractivité, pour importantes qu’elles soient, ne sont pas l’objectif premier.
On notera ensuite cette revendication, en soi légitime : «L’ensemble des personnels est confronté au gel du point d’indice et à l’absence de perspectives concernant la revalorisation de leurs missions et de leurs salaires».
Tout observateur ayant un peu de recul pourrait être enclin à la perplexité. Le gel du point d’indice, la revalorisation des rémunérations concernent plus directement un autre département ministériel: le ministère de la Fonction publique qu’a en charge Mme Lebranchu et non Mme Vallaud-Belkacem. C’est d’autant plus vrai que la question de la refonte de l’architecture statutaire fait l’objet de discussions en cours à la Fonction publique. Mais, comme dit l’autre, ça ne mange pas de pain.
Quant à la «revalorisation des missions», elle ne peut manquer de susciter chez le lecteur des interrogations existentielles profondes. Leur reconnaissance (reconnaissance «morale et matérielle ») est une chose. La prise en compte de missions assumées, mais pas encore ou insuffisamment reconnues, en est une autre. La revalorisation des métiers relève d’un autre champ.
La «revalorisation des missions» est un objet à la fois étrange et mystérieux — sauf l’aspect, déjà évoqué, de la reconnaissance, salariale (auquel cas «revalorisation des missions» doit être rangé, dans la xylologie syndicale (de xylos, bois, et logos, langage) comme un synonyme de revalorisation salariale.
Reste la fin du message : «Malgré des créations de postes, les conditions d’exercice restent difficiles. La formation initiale et continue doit être améliorée de manière urgente. Il faut donner aux enseignants et à tous les personnels les moyens d’apporter des améliorations aux conditions de scolarisation des élèves et leur permettre de travailler dans de bonnes conditions.»
On voit bien la déploration (et, dans la période, la « carte scolaire » donnera lieu à des actions justifiées… mais ciblées), mais on cherche la définition d’objectifs, l’affirmation de priorités, la précision dans la revendication.
Un appel « large » en apparence, étroit en réalité
C’est pour mettre en avant «ces revendications et ses propositions que la FSU appelle les personnels à se mettre en grève le mardi 3 février 2015». Pour une fédération qui se targue de groupe des syndicats de la Fonction publique «hors Éducation nationale», on relèvera que l’appel reste quand même très Éduc. nat., et même «enseignants des enseignements scolaires»: aucun élément concernant réellement les personnels administratifs, techniques, sociaux et de santé n’apparaît; aucune mention ne fait référence aux problèmes importants (tensions budgétaires, politique de regroupements d’établissements) que connaît le secteur de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Silence radio. Rien.
Pourtant, pour le coup, Mme Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, est bien la ministre de tous ses personnels à tous les degrés (Supérieur compris) de l’enseignement !
Bien entendu, il y a (quand même) une demande de négociations avec la ministre sur les conditions de travail. En vue de quels objectifs? C’est une tout autre affaire. Et si, dans la lettre adressée par la FSU à la ministre de l’Éducation nationale (mais apparemment pour elle si peu de l’Enseignement supérieur et de la Recherche), on aura du mal à les trouver.
Sans tout citer (on n’est pas quand même pas là pour ça...), évoquons ce passage du courrier de la FSU qui, pour le coup, concerne bien les deux champs ministériels (Éducation nationale; Enseignement supérieur et Recherche):
«Enfin, pour la FSU, il est indispensable d’améliorer la formation initiale et continue de tous les personnels. Pour cela, il est urgent de faire enfin le bilan de la mise en place des ESPÉ afin de conduire les réorientations nécessaires dès la prochaine rentrée scolaire.»
L’amélioration de la formation est une revendication partagée. Le bilan des ESPÉ peut être utile. Mais qu’entend la FSU par «conduire les réorientations nécessaires dès la prochaine rentrée scolaire» (et universitaire, soit dit en passant)? Les positionnements des syndicats de la FSU sur ce sujet sont-ils si clairs, si univoques, si compatibles que cela ? Quelle est la conception affirmée du métier d’enseignant, de son rôle aujourd’hui et demain, de l’évolution de ses missions comme de ses modalités d’exercice, de sa fonction (pour nous borner à cet aspect précis) dans ou, plus précisément, pour l’acquisition des savoirs par les élèves?
C’est le grand jeu de la pochette surprise ou, plutôt, de l’auberge (revendicative) espagnole dans laquelle chacun amène ses propres revendications : peu importe la cohérence du moment que le nombre soit là.
C’est d’ailleurs précisément sur ce thème là que nous avions refusé il y a quelques années, après plusieurs mois d’échanges intersyndicaux à la suite de la mastérisation «Darcos», d’en rester au slogan «Pour une autre réforme de la formation des enseignants» sans préciser ce que les uns et les autres entendaient effectivement mettre dans cette «autre réforme». Sinon, on peut l’attendre aussi longtemps que d’autres ont attendu Godot... qui est toujours censé venir « demain » depuis 1952).
Un syndicalisme utile… dans l’action aussi
D’abord un principe: la FSU est une organisation syndicale à qui nul ne dénie le droit de fixer librement ses orientations et décider de ses actions.
Simplement, dans un État démocratique — y compris sur le terrain de la démocratie sociale, les autres organisations sont en droit de rappeler qu’une organisation syndicale qui prend une initiative d’action en faisant en sorte de rester seule (en quoi, historiquement parlant, le U de Fédération syndicale unitaire peut rappeler le U de la Confédération général du travail unitaire de l’entre-deux-guerres) s’expose à une analyse du pourquoi de la part d’autres organisations. En l’espèce, c’est l’occasion d’une réflexion qui ne nous semble pas inutile (on y reviendra un peu plus loin).
Ensuite, un rappel : nous avons conduit, dans le cadre des champs ministériels relevant spécifiquement de l’UNSA Éducation comme dans celui de la Fonction publique, des actions communes ou, quelquefois, coordonnées avec la FSU dans un cadre unitaire. Ne soyez pas surpris : il y en aura d’autres.
Il y aura des actions unitaires en « contre ». C’était le cas le 15 mai 2014, contre le gel salarial. On peut avoir à manifester son opposition, sa colère, ses exigences même si le contexte laisse peu d’espoir, ne serait-ce que pour prendre l'opinion à témoin parce que (dans le contexte donné, toujours), ce peut être nécessaire, voire indispensable. Mais on rappellera toutefois que cette action avait un objet ciblé (les rémunérations dans la Fonction publique) et un objectif affiché (le dégel du point) dans un moment de tension marqué par des menaces sur le gel des avancements d’échelon et de grade (ou de classe).
Il peut y avoir des actions unitaires en « pour » (par exemple sur le budget), et parfois des actions à la fois en contre (une politique restrictive) et en pour (rétablir des moyens supprimés). Ou pour des principes.
Enfin, localement, dans un certains nombre d'établissements et de services, la nécessité de recourir à l'action, y compris par la grève, s'impose en raison de difficultés locales. Dans la période où nous sommes, les mesures de «carte scolaire» dans les académies et départements, par exemple, ont d'ailleurs amené les syndicats ou les sections UNSA Éducation à en prendre l'initiative, seuls ou dans un cadre intersyndical.
Encore faut-il, quelles que soient les circonstances, afficher clairement un objectif. L'objectif peut se décliner dans une plateforme mais avec une cohérence nécessaire.
Bien sûr, le débat sur les plateformes revendicatives est vieux comme le mouvement syndical. Encore faut-il aussi considérer, dans ce contexte, la situation des collègues, notamment en matière salariale, et ne pas les inciter à perdre une journée de rémunération pour rien dans une action «patchwork».
La grève est « l’arme ultime ». Elle suppose que le mouvement ne soit pas un mouvement « en soi » (la grève pour la grève), mais qu'il s'appuie sur des objectifs clairement identifiés : modifier un rapport de forces en suscitant l’intérêt de l’opinion (et des médias) par la force de la mobilisation; débloquer une situation (ça s’est vu, de manière contradictoire, en 1989 pour la revalorisation de la fonction enseignante).
Or, dans l’appel à la grève lancé par la FSU, il y a des thèmes, des descriptifs, des sujets de discussion mais pas d’objectifs identifiés, de revendications précisées même si elles ne sont pas détaillées. La somme des mécontentements épars et fragmentaires ne fait pas une action cohérente. Pour les collègues qui se seront mobilisés pour des enjeux très ponctuels, l’absence de réelles perspectives au mouvement ne peut qu’accroître et l’amertume, et la désespérance dans l’action syndicale.
Nous ne croyons pas (c’est un vieux débat avec nos camarades de la FSU ou de la CGT) aux vertus du syndicalisme «caisse de résonance», accumulant tous les mécontentements et toutes les revendications (fussent-elles contradictoires), pour porter haut et fort la voix des travailleurs en colère. Que la colère soit justifiée: oui. Que nous exprimions la nôtre quand c’est nécessaire: oui encore. Mais nous pensons à l'UNSA qu’il vaut mieux privilégier le syndicalisme utile et, tant que des discussions ne sont pas achevées (notamment à la Fonction publique où elles viennent enfin de commencer), qu’il vaut mieux tirer des conclusions en fin de négociation.
C’est pourquoi nous pensons que l’appel à la grève de nos camarades de la FSU est une erreur (leur décision est leur affaire, mais c’est la nôtre que d’éviter que des personnels perdent une journée de salaire pour rien). Or la grève inutile, sans lendemain, dissuade par la suite les personnels — alors qu’on en aurait besoin — de faire la grève utile.
— Ou alors, amis adeptes de la théorie du complot, il faut considérer que c’est un pacte secret, ourdi par des puissances obscures, par lequel le Gouvernement et la FSU ont trouvé un moyen, pour les personnels de la Fonction publique, de faire un effort civique (involontaire) grâce auquel la masse salariale de la Fonction publique se réduira de fait grâce aux retenues pour grève.
La théorie du complot n’étant pas plus sérieuse que la mise en œuvre des «non-objectifs» de la FSU au soir du 3 février, l’UNSA, ses militants et sympathisants n’en seront pas. Même si c’est pour les beaux yeux de la FSU, il n’y a aucune raison de faire baisser son pouvoir d’achat plus vite que prévu en faisant une grève inutile le 3 février prochain.
Luc BENTZ